Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/285

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comparées, la zoologie, la botanique, sont à mes yeux les sciences qui apprennent le plus de choses sur l’essence de la vie, et c’est là que j’ai puisé le plus d’éléments pour ma manière d’envisager l’individualité et le mode de conscience résultant de l’organisme. Les mathématiques elles-mêmes, bien que n’apprenant rien sur la réalité, fournissent des moules précieux pour la pensée, et nous présentent, dans la raison pure en action, le modèle de la plus parfaite logique. Mais je ne veux pas insister plus longtemps sur des choses que je ne connais pas d’une manière spéciale, et je reviens à mon idée fondamentale d’une philosophie critique.

Le plus haut degré de culture intellectuelle est, à mes yeux, de comprendre l’humanité. Le physicien comprend la nature, non pas sans doute dans tous ses phénomènes, mais enfin dans ses lois générales, dans sa physionomie vraie. Le physicien est le critique de la nature le philosophe est le critique de l’humanité. Là où le vulgaire voit fantaisie et miracle, le physicien et le philosophe voient des lois et de la raison. Or cette intuition vraie de l’humanité, qui n’est au fond que la critique, la science historique et philologique peut seule la donner. Le premier pas de la science de l’humanité est de distinguer deux phases dans la pensée humaine l’âge primitif, âge de spontanéité, où les facultés, dans leur fécondité créatrice, sans se regarder elles-mêmes, par leur tension intime, atteignaient un objet qu’elles n’avaient pas visé ; et l’âge de réflexion, où l’homme se regarde et se possède lui-même, âge de combinaison et de pénibles procédés, de connaissance antithétique et controversée. Un des services que M. Cousin a rendus à la philosophie a été d’introduire parmi nous cette distinction et de l’exposer