Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/294

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nous égarer pour chercher notre théologie Certes cette façon de concevoir les choses est simple et majestueuse mais combien elle est pâle auprès de ces grandes évolutions de Pan que la race indo-germanique, ses débuts poétiques comme à son terme, a si bien su comprendre

Parmi les sciences secondaires qui doivent servir à constituer la science de l’humanité, aucune n’a autant d’importance que la théorie philosophique et comparée des langues. Quand on songe que cette admirable science ne compte guère encore qu’une génération de travaux, et que déjà pourtant elle a amené de si précieuses découvertes, on ne peut assez s’étonner qu’elle soit si peu cultivée et si peu comprise. Est-il croyable qu’il n’existe pas dans toute l’Europe une seule chaire de linguistique et que le Collège de France, qui met sa gloire à représenter dans son enseignement l’ensemble de l’esprit humain, n’ait pas de chaire pour une des branches les plus importantes de la connaissance humaine que le xixe siècle ait créées ? Quel résultat historique que la classification des langues en familles, et surtout la formation de ce groupe dont nous faisons partie et dont les rameaux s’étendent depuis l’île de Ceylan jusqu’au fond de la Bretagne ! Quelles lumières pour l’ethnographie, pour l’histoire primitive, pour les origines de l’humanité ! Quel résultat philosophique que la reconnaissance des lois qui ont présidé au développement du langage, à la transformation de ses mécanismes, aux décompositions et recompositions perpétuelles qui forment son histoire ! Le progrès analytique de la pensée eût-il été scientifiquement reconnu, si les langues ne nous eussent montré, comme dans un miroir, l’esprit humain marchant sans cesse de la synthèse ou de la complexité