Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/299

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mouiller la face du croyant agenouillé, la science aimerait a étudier ces ruines, à décrire toutes les statuettes qui les ornent, à soulever les vitraux qui n’y laissent entrer qu’un demi-jour mystérieux, pour y introduire le plein soleil, et étudier à loisir ces admirables pétrifications de la pensée humaine.

L’histoire des religions est encore presque toute à créer. Mille causes de respect et de timidité empêchent sur ce point la franchise, sans laquelle il n’y a pas de discussion rationnelle, et rendent au fond la position de ces grands systèmes plus défavorable qu’avantageuse aux yeux de la science. Les religions semblent mises au ban de l’humanité ; elles n’arrivent que bien tard à obtenir leur véritable valeur, celle qu’elles méritent aux yeux de la critique, et le silence qu’on garde à leur égard peut faire illusion sur l’importance du rôle qu’elles ont joué dans le développement des idées. Une histoire de la philosophie (118), où Platon occuperait un volume, devrait, ce semble, en consacrer deux a Jésus et pourtant ce nom n’y sera peut-être pas une fois prononcé. Ce n’est pas la faute de l’historien ; c’est la conséquence de la position de Jésus. Tel est le sort de tout ce qui est arrivé à une consécration religieuse. Combien la littérature hébraïque, par exemple, si admirable, si originale, n’a-t-elle pas souffert aux yeux de la science et du goût en devenant la Bible ! Soit mauvaise humeur, soit reste de superstition, la critique scientifique et littéraire a quelque peine a envisager comme ses objets propres les œuvres qui ont ainsi été séquestrées du profane et du naturel, c’est-à-dire de ce qui est et pourtant est-ce la faute de ces œuvres ? L’auteur de ce charmant petit poème, qu’on appelle le Cantique des Cantiques, pouvait-il se douter qu’un jour on le