Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/316

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sans objection, ni réfutation ; et l’âge réfléchi, où l’objection et l’apologétique se sont produites ; âge subtil, où la réflexion devient exigeante, sans pouvoir se satisfaire ; où le merveilleux, autrefois si facile, si bien imaginé, si suavement conçu, reflet si pur des instincts moraux de l’humanité, devient timide, mesquin, parfois immoral, surnaturel au petit pied, miracles de coterie et de confréries, etc. Tout se resserre et se rapetisse ; les pratiques perdent leur sens et se matérialisent ; la prière devient un mécanisme, le culte une cérémonie, les formules une sorte de cabalisme, où les mots opèrent, non plus comme autrefois par leur sens moral, mais par leur son et leur articulation ; les prescriptions légales, à l’origine empreintes d’une si profonde moralité, deviennent de pures prohibitions incommodes que l’on cherche à éluder, jusqu’au jour où l’on trouvera une subtilité pour s’en débarrasser (130). Dans le premier âge, la religion n’a pas besoin de symboles ; elle est un esprit nouveau, un feu qui va sans cesse dévorant devant lui ; elle est libre et sans limites. Puis, quand l’enthousiasme est tombé, quand la force originale et native s’est éteinte, on commence à définir, à combiner, à spéculer ce que les premiers croyants avaient embrassé de foi et d’amour. Ce jour-là naît la scolastique, et ce jour-là est posé le premier germe de l’incrédulité.

Je ne puis dire tout ce que j’entrevois sur ce riche sujet, ni les trésors de psychologie qu’on pourrait tirer de l’étude de ces œuvres admirables de la nature humaine. C’est, je le sais, une singulière position que la nôtre en face de ces œuvres étranges. Pleines de vie et de vérité pour les peuples qui les ont créées, elles ne sont pour nous qu’un objet d’analyse et de dissection. Position inférieure, en