Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/322

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de droit commun. Un innombrable essaim de doctes philologues a complètement réformé en Allemagne l’exégèse biblique, sans que la France connaisse encore le premier mot de leurs travaux. Toutefois, pour la science comme pour la philosophie, il y a des canaux secrets par lesquels s’infiltrent les résultats. Les idées de Wolf sur l’épopée ou plutôt celles qu’il a amenées sont devenues du domaine publie. La grande poésie panthéiste de Gœthe, de Victor Hugo, de Lamartine, suppose tout le travail de la critique moderne, dont le dernier mot est le panthéisme littéraire. J’ai peine a croire que M. Hugo ait lu Heyne, Wolf, William Jones, et pourtant sa poésie les suppose. Il vient un certain jour où les résultats de la science se répandent dans l’air, si j’ose le dire, et forment le ton général de la littérature. M. Fauriel n’était qu’un savant critique ; le don de la production artistique lui fut presque refusé ; peu d’hommes ont pourtant exercé sur la littérature productive une aussi profonde influence.

Combien il s’en faut encore que les mines du passé aient rendu tous les trésors qu’elles renferment ! L’œuvre de l’érudition moderne ne sera accomplie que quand toutes les faces de l’humanité, c’est-à-dire toutes les nations auront été l’objet de travaux définitifs, quand l’Inde, la Chine, la Judée, l’Égypte seront restituées, quand on aura définitivement la parfaite compréhension de tout le développement humain. Alors seulement sera inauguré le règne de la critique. Car la critique ne marchera avec une parfaite sécurité que quand elle verra s’ouvrir devant elle le champ de la comparaison universelle. La comparaison est le grand instrument de ]à critique. Le xviie siècle n’a pas connu la critique, parce, que la comparaison des faces diverses de l’esprit humain lui