Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/326

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tout à fait impossible c’est que cent subtilités soient vraies à la fois. Il faut en dire autant de la fin de non-recevoir que certains exégètes opposent à ce qu’ils appellent argument négatif, c’est-à-dire aux inductions que l’on tire du silence ou de l’absence des textes. Ainsi, de ce que l’histoire la plus ancienne de l’histoire des Juifs établis en Palestine n’offre aucune trace de l’accomplissement des prescriptions mosaïques, la critique rationaliste en conclut que ces prescriptions n’existaient point encore. Que savez-vous, dit l’orthodoxe, si elles n’existaient pas sans qu’il en soit fait mention ? Le roman d’Antar et les Moallacats ne supposent chez les Arabes avant l’islamisme aucune institution judiciaire, aucune pénalité. Que savez-vous, s’ils n’avaient pas un jury sans qu’il en soit fait mention ? Pour satisfaire une telle critique, il faudrait un texte ainsi conçu : les Arabes à cette époque n’avaient pas de jury ; lequel, je l’avoue, serait difficile à trouver. Exigez donc aussi un texte semblable pour prouver que l’artillerie n’était pas connue aux temps homériques, et en général, pour tous les résultats de la critique exprimés sous forme de négation.

Cette impossibilité d’imposer ses résultats et de réduire au silence ses adversaires, satisfaits de leurs lourds arguments, peut d’abord impatienter le critique et le porter à descendre dans cette grossière arène. Ce serait une faute impardonnable. Longtemps encore le critique sera solitaire, et devra se borner à regretter que l’éducation nécessaire pour le comprendre soit si peu répandue. Comment le serait-elle davantage, quand les premiers enseignements que l’on reçoit dans l’enfance, et qui demeurent trop souvent la seule doctrine philosophique de la vie, sont la négation même de la critique ? La su-