Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/333

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

geuse ; chacun prétend dire ce qu’il veut et ne voit pas de raison pour soumettre sa volonté et sa pensée à celles des autres. L’analyse, c’est la r6volution, la négation de la loi unique et absolue. Ceux qui rêvent la paix en cet état rivent la mort. La révolution y est nécessaire, et, quoi qu’on fasse, elle va son chemin. La paix n’est pas le partage de l’état d’analyse, et l’état d’analyse est nécessaire pour le progrès de l’esprit humain. La paix ne reparaitra qu’avec ta grande synthèse, le jour où de nouveau les hommes s’embrasseront dans la raison et la nature humaine convenablement cultivée. Durant cette fatale transition, la grande association est impossible. Chacun existe trop vigoureusement ; des individualités aussi caractérisées ne se laissent pas lier en gerbe. Créer aujourd’hui ces grandes unités religieuses, ces grandes agglomérations d’âmes en une même doctrine qui s’appellent les religions, ces ordres militaires du moyen âge, où tant d’individualités nulles en elles-mêmes se fondaient en vue d’une même œuvre, serait maintenant impossible. On lie facilement les épis quand ils sont coupés ou abattus par l’orage, mais non tant qu’ils vivent. Pour s’absorber ainsi dans un grand corps, par lequel on vit, dont on fait sienne la gloire ou la prospérité, il faut avoir peu d’individualité, peu de vues propres, seulement un grand fond d’énergie non réfléchie, prête à se mettre au service d’une grande idée commune. La réflexion ne saurait opérer l’unité ; la diversité est le caractère essentiel des époques philosophiques ; toute grande fondation dogmatique y est impossible. L’état primitif était l’âge de la solidarité. Le crime même n’y était pas conçu comme individuel ; la substitution de l’innocent au coupable paraissait toute naturelle ; la faute se transmettait et devenait héréditaire. Dans l’âge réfléchi au