Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un scrupule cependant s’élève parfois en mon âme, et la pensée que j’ai. cherché à exprimer dans ces pages serait incomplète, si je n’en présentais ici la solution. Aussi bien c’est la grande objection que l’on répète sans cesse contre le rationalisme : j’éprouve le besoin de dire mon sentiment sur ce point.

La science et l’humanisme, peut-on me dire, vous offrent un aliment religieux suffisant. Mais cette religion peut-elle être celle de tous ? L’homme du peuple, courbé sous le poids d’un travail de toutes les heures, l’intelligence bornée, fermée à jamais aux secrets de la vie supérieure, peut-il espérer d’avoir part à ce culte des parfaits ? Que si votre religion est pour un petit nombre, que si elle exclut les pauvres et les humbles, elle n’est pas la vraie ; bien plus elle est barbare et immorale, puisqu’elle bannit du royaume du ciel ceux qui sont déjà déshérités des joies de la terre.

Ces objections sont d’autant plus sérieuses que je reconnais tout le premier que la science, pour arriver à ce degré où elle offre à l’âme un aliment religieux et moral, doit s’élever au-dessus du niveau vulgaire, que l’éducation scientifique ordinaire est ici complètement insuffisante, qu’il faut, pour réaliser cet idéal, une vie entière consacrée à l’étude, un ascétisme scientifique de tous les instants et le plus complet renoncement aux plaisirs, aux affaires et aux intérêts de ce monde, que non seulement l’homme ignorant est radicalement incapable de comprendre le premier mot de ce système de vie, mais que même l’immense majorité de ceux qu’on regarde comme instruits et cultivés est dans l’incapacité absolue d’y atteindre.

Oui, je l’avoue, la religion rationnelle et pure n’est accessible qu’au petit nombre. Le nombre des philosophes a