Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/355

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douces du temps ; mais, si l’on est tant soit peu critique, on est obligé de se dire en même temps que cela est impossible, que la chose ne se fera pas ainsi. Mais enfin elle se fera de manière ou d’autre. C’est peine perdue de calculer et de ménager savamment les moyens car la brutalité s’en mêlera, et on ne calcule pas avec la brutalité. Il y a là une antinomie et un équilibre instable comme dans tant d’autres questions relatives à l’humanité, quand on les envisage exclusivement dans le présent. Il y a des hommes nécessairement détestés et maudits de leur siècle ; l’avenir les explique et arrive à dire froidement : Il a fallu qu’il y eut aussi de ces gens-la (145). Du reste cette réhabilitation d’outre-tombe n’est pas pour eux de vigoureuse justice ; car comme ils sont presque toujours immoraux, ils ont trouvé leur récompense dans la satisfaction de leurs brutales passions. Je conçois idéalement un révolutionnaire vertueux, qui agirait révolutionnairement par le sentiment du devoir et en vue du bien calculé de l’humanité, de telle sorte que les circonstances seules seraient coupables de ses violences. Mais je mets en fait qu’il n’y en a pas encore eu un seul de la sorte, et peut-être même ce caractère est-il en dehors des conditions de l’humanité. Car de tels actes ne vont pas sans que la passion s’en mêle, et réciproquement de telles passions ne vont pas sans éveiller quelque vue désintéressée. Le caractère des révolutionnaires est très complexe, et les explications trop simples qu’on en donne sont arguées de fausseté par leur simplicité même.

Théophylacte raconte que Philippicus, général de Maurice, étant sur le point de donner une bataille, se mit à pleurer en songeant au grand nombre d’hommes qui allaient être tués. Montesquieu appelle cela de la bigo-