Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/366

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se hâte d’élever le peuple, nous sommes à la veille d’une affreuse barbarie. Car, si le peuple triomphe tel qu’il est, ce sera pis que les Francs et les Vandales. Il détruira lui-même l’instrument qui aurait pu servir à l’élever ; il faudra attendre que la civilisation sorte de nouveau spontanément du fond de sa nature. Il faudra traverser un autre moyen âge, pour renouer le fil brisé de la tradition savante.

La morale, comme la politique, se résume donc en ce grand mot : Élever le peuple. La morale aurait dû le prescrire, en tout temps la politique le prescrit plus impérieusement que jamais, depuis que le peuple a été admis à la participation aux droits politiques. Le suffrage universel ne sera légitime que quand tous auront cette part d’intelligence sans laquelle on ne mérite pas le titre d’homme, et si, avant ce temps, il doit être conservé, c’est uniquement comme pouvant servir puissamment à l’avancer. La stupidité n’a pas le droit de gouverner le monde. Comment, je vous prie, confier les destinées de l’humanité à des malheureux, ouverts par leur ignorance à toutes les captations du charlatanisme, ayant a peine le droit de compter pour des personnes morales ? État déplorable que celui où, pour obtenir les suffrages d’une multitude omnipotente, il ne s’agit pas d’être vrai, savant, habile, vertueux, mais d’avoir un nom ou d’être un audacieux charlatan !

Je suppose un savant et laborieux chercheur, qui ait trouvé, sinon la solution définitive, du moins la solution la plus avancée du grand problème social. Il est incontestable que cette solution serait si compliquée qu’il y aurait au plus vingt personnes au monde capables de la comprendre. Souhaitons-lui de la patience, s’il est obligé