Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/381

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personne, je ne livre aucune bataille et ne remporte aucune victoire, que je fais un acte aussi indépendant et aussi spontané que celui de l’artiste qui tire du fond de son âme la beauté pour la réaliser au dehors, que je n’ai qu’à suivre avec ravissement et parfait acquiescement l’inspiration morale qui sort du fond de mon cœur. L’homme élevé n’a qu’à suivre la délicieuse pente de son impulsion intime ; il pourrait adopter la devise de saint Augustin et de l’abbaye de Thélème « Fais ce que tu voudras » ; car il ne peut vouloir que de belles choses. L’homme vertueux est un artiste qui réalise le beau dans une vie humaine comme le statuaire le réalise sur le marbre, comme le musicien par des sons. Y a-t-il obéissance et lutte dans l’acte du statuaire et du musicien ?

C’est là de l’orgueil, direz-vous. Il faut s’entendre. Si l’on entend par humilité le peu de cas que l’homme ferait de sa nature, la petite estime dans laquelle il tiendrait sa condition, je refuse complètement à un tel sentiment le titre de vertu, et je reproche au christianisme d’avoir parfois pris la chose de cette manière. La base de notre morale, c’est l’excellence, l’autonomie parfaite de la nature humaine le fond de tout notre système philosophique et littéraire, c’est l’absolution de tout ce qui est humain.

Ennoblissement et émancipation de tous les hommes par l’action civilisatrice de la société, tel est donc le devoir le plus pressant du gouvernement dans la situation présente. Tout ce que l’on fait sans cela est inutile ou prématuré. On parle sans cesse de liberté, de droit de réunion, de droit d’association. Rien de mieux, si les intelligences étaient dans l’état normal ; mais jusque-là rien de plus frivole. Des imbéciles ou des ignorants auront