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En un mot, la société doit à l’homme la possibilité de la vie, de cette vie que l’homme a son tour doit, s’il en est besoin, sacrifier à la société.

Si le socialisme était la conséquence logique dé l’esprit moderne, il faudrait être socialiste ; car l’esprit moderne, c’est l’indubitable. Plusieurs, en effet, dans des intentions opposées, soutiennent que le socialisme est la filiation directe de la philosophie moderne. D’où les uns concluent qu’il faut admettre le socialisme, et les autres qu’il faut rejeter la philosophie moderne.

Rien ne cause plus de malentendus dans les sciences morales que l’usage absolu des noms par lesquels on désigne les systèmes. Les sages n’acceptent jamais aucun de ces noms ; car un nom est une limite. Ils critiquent les doctrines, mais ne les prennent jamais de toute pièce. Quel est l’homme de quelque valeur qui voudrait de nos jours s’affubler de ces noms de panthéiste, matérialiste, sceptique, etc ? Donnez-moi dix lignes d’un auteur, je vous prouverai qu’il est panthéiste, et avec dix autres, je prouverai qu’il ne l’est pas. Ces mots ne désignent pas une nuance unique et constante : ils varient suivant les aspects.

Il est de même du socialisme. Pour moi j’adopterais volontiers comme formule de mon opinion à cet égard ce que dit M. Guizot : « Le socialisme puise son ambition et sa force à des sources que personne ne peut tarir. Mais, dominé par les forces d’ensemble et d’ordre de la société, il sera incessamment combattu et vaincu dans ce qu’il a d’absurde et de pervers, tout en prenant progressivement sa place et sa part dans cet immense et redoutable développement de l’humanité tout entière qui s’accomplit de nos jours. »

Ce qui fait la force du socialisme, c’est qu’il correspond