Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/396

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

première fois, certaines âmes naïves, généreuses, mais n’ayant pas assez de critique rationnelle ni une expérience suffisante de l’histoire, ni l’idée de l’extrême complexité de la nature humaine, rêvent une société trop simple, et s’imaginent avoir trouvé la solution dans quelque idée apparente ou superficielle, qui, si elle était réalisée, irait directement contre leur but. Aucun problème social n’est abordable de face du moment où une solution paraît claire et facile, il faut s’en défier. La vérité en cet ordre de choses est savante et cachée. Mais les esprits lourds, qui ne voient pas ces nuances, vont tout droit à travers marais et fondrières. C’est là un égarement inévitable et sans remède. Persuadées qu’elles possèdent le fin mot de l’énigme, ces bonnes âmes sont importunes, empressées ; elles veulent qu’on les laisse faire, elles s’imaginent qu’il n’y a que le vil intérêt et le mauvais vouloir qui empêchent d’adopter leurs systèmes. Ceux qui rient de ces naïfs croyants ou qui les injurient sont bien moins excusables encore car ils n’en savent pas plus qu’eux, et ils sont moins avancés peut-être, car ils n’ont pas aperçu le problème. Ma conviction est qu’un jour l’on dira du socialisme comme de toutes les réformes : Il a atteint son but, non pas comme le voulaient les sectaires, mais pour le plus grand bien de l’humanité. Les réformes ne triomphent jamais directement ; elles triomphent en forçant leurs adversaires, pour les vaincre, à se rapprocher d’elles. C’est une tempête qui entraîne à reculons ceux qui essaient de lui faire face (153), un fleuve qui emporte ceux qui le refluent, un nœud qu’on serre en voulant le délier, un feu qu’on allume en soufflant dessus pour l’éteindre. L’humanité, comme le Dieu biblique, fait sa volonté par les efforts de ses ennemis. Examinez l’histoire