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cation des races sauvages, c’est celui que la Providence a suivi dans l’éducation de l’humanité ; car ce n’est pas au hasard apparemment qu’elle l’a choisi. Or, voyez par combien d’étapes les peuples ont passé. Il est certain que la civilisation ne s’improvise pas, qu’elle exige une longue discipline, et que c’est rendre un mauvais service aux races incultes que de les émanciper du premier coup. J’imagine qu’il faudrait leur faire traverser un état analogue aux théocraties anciennes. L’esclavage n’élève pas le noir, ni la liberté non plus. Libre, il dormira tout le jour, ou il ira comme l’enfant courir les bois. Il y a dans l’abolitionnisme à outrance une profonde ignorance de la psychologie de l’humanité. J’imagine, du reste, que l’étude scientifique et expérimentale de l’éducation des races sauvages deviendra un des plus beaux problèmes proposés à l’esprit européen, lorsque l’attention de l’Europe pourra un instant se détourner d’elle-même.

L’histoire de l’humanité n’est pas seulement l’histoire de son affranchissement, c’est surtout l’histoire de son éducation. Que serait l’humanité si elle n’avait traversé les théocraties anciennes et les sévères législations à la Lycurgue ? Le fouet a été nécessaire dans l’éducation de l’humanité. Nous n’envisageons plus ces formes que comme des obstacles, que l’humanité a dû briser. Elle a dû les briser sans doute, mais après en avoir fait son profit. Et n’était-ce pas elle après tout qui se les était créés ? L’effort que l’on a fait pour les détruire aveugle sur leur utilité antérieure. Les histoires révolutionnaires ont le tort de présenter la destruction des formes anciennes comme le grand résultat du progrès de l’humanité. Détruire n’est pas un but. L’humanité a vécu dans les formes anciennes jusqu’à ce qu’elles soient devenues trop étroites ; alors