Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/410

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peut être juste pour ce qu’il détruit ; car il ne l’envisage que comme une borne, une sottise, une absurdité. Mais songez donc que c’est l’humanité qui l’a fait. Prenez l’institution la plus odieuse, l’Inquisition. L’Espagne l’a faite, l’a soufferte, et apparemment s’en serait débarrassée, si elle l’avait voulu. Ah ! si nous nous mettions au point de vue espagnol, nous la comprendrions sans doute. Le spéculatif seul peut être critique ; les libéraux ne le sont pas ; ils sont superficiels. L’humanité a tout fait. On ne déclame que parce que l’on se figure la chaîne comme imposée par une force étrangère à l’humanité. Or, l’humanité seule s’est donnée des chaînes.

Il y a dans l’humanité des éléments qui semblent uniquement destinés à arrêter ou modérer sa marche. Il ne faut pas les juger pour cela inutiles. La réaction a sa place dans le plan providentiel ; elle travaille sans le savoir au bien de l’ensemble. Il y a des pentes où le rôle de la traction se borne à retenir. Ceux qui veulent arrêter un mouvement lui rendent un double service : ils l’accélèrent et ils le règlent. Le but de l’humanité est d’approfondir successivement tous les modes de vie, de les couver, de les digérer, pour ainsi dire, pour s’assimiler ce qu’ils contiennent de vrai et rejeter le mauvais ou l’inutile. Il est donc essentiel qu’elle les garde quelque temps, pour opérer à loisir cette analyse autrement la digestion trop hâtée n’aboutirait qu’a l’affaiblir ; l’assimilation d’une foule d’éléments vraiment nutritifs serait empêchée. Si les hommes qui jouent ce rôle étaient désintéressés, c’est-à-dire s’ils ne se proposaient que le plus grand progrès de l’humanité, ce seraient des héros ; car c’est un vilain rôle que celui de réagisseur, et peu apprécié. L’essentiel pour l’humanité est de bien faire ce qu’elle fait, de telle sorte