Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/413

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peuple pourra seul faire revivre ces hautes aspirations du vieux monde aristocratique. Il vaudrait mieux sans doute que tous fussent grands et nobles. Mais, tandis que cela sera impossible, il est important que la tradition de la belle vie humaine se maintienne dans l’élite. Les petits seraient-ils plus grands, parce que les grands seraient de leur taille ? L’égalité ne sera de droit que quand tous pourront être parfaits dans leur mesure. Je dis dans leur mesure ; car l’égalité absolue est aussi impossible dans l’humanité que le serait l’égalité absolue des espèces dans le règne animal. L’humanité, en effet, n’existerait pas comme unité, si elle était formée d’unités parfaitement égales et sans rapport de subordination entre elles. L’unité n’existe qu’à condition que des fonctions diverses concourent à une même fin ; elle suppose la hiérarchie des parties. Mais chaque partie est parfaite quand elle est tout ce qu’elle peut être, et qu’elle fait excellemment tout ce qu’elle doit faire. Chaque individu ne sera jamais parfait ; mais l’humanité sera parfaite et tous participeront à sa perfection.

Rien n’est explicable dans le monde moral au point de vue de l’individu. Tout est confusion, chaos, iniquité révoltante, si on n’envisage la résultante transcendentale où tout s’harmonise et se justifie (162). La nature nous montre sur une immense échelle le sacrifice de l’espèce inférieure à la réalisation d’un plan supérieur. Il en est de même dans l’humanité. Peut-être même faudrait-il dépasser encore cet horizon trop étroit et ne chercher la justice, la grande paix, la solution définitive, la complète harmonie, que dans un plus vaste ensemble, auquel l’humanité elle-même serait subordonnée, dans ce τὸ πᾶν mystérieux, qui sera encore, quand l’humanité aura disparu.