Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/440

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liers. La Grèce tirait des poèmes, des temples, des statues de son intime spontanéité, pour épuiser sa propre fécondité et satisfaire à un besoin de la nature humaine. Chez nous, on accorde à l’art quelques subventions péniblement marchandées, non par le besoin qu’on éprouve de voir la pensée nationale traduite en grandes œuvres, non par l’impulsion intime qui porte l’homme à réaliser la beauté, mais par une vue réfléchie et critique, parce qu’on reconnaît, on ne sait trop pourquoi, que l’art doit avoir sa place, et qu’on ne veut pas rester en arrière du passé. Mais si l’on n’obéissait qu’à l’amour pur et spontané des belles choses, que ferait-on ? Une des raisons que l’on faisait valoir tout récemment en faveur du projet pour l’achèvement du Louvre, c’est que ce serait un moyen d’occuper les artistes. Je voudrais bien savoir si Périclès fit valoir ce motif aux Athéniens, quand il s’agit de bâtir le Parthénon.

Réfléchissez aux conséquences de ce déplorable régime qui soumet l’art, et plus ou moins la littérature ou la poésie, au goût des individus. Dans l’ordre des productions de l’esprit, comme dans tous les autres, on ne reproduit que sur la demande expresse ou supposée, et par la force des choses il arrive que c’est la richesse qui fait la demande. Celui donc qui songe à vivre de la production intellectuelle doit songer avant tout a deviner la demande du riche pour s’y conformer. Or, que demande le riche en fait de productions intellectuelles ? Est-ce de la littérature sérieuse ? Est-ce de la haute philosophie, ou, dans l’art, des productions pures et sévères, de hautes créations morales ? Nullement. C’est de la littérature amusante ; ce sont des feuilletons, des romans, des pièces spirituelles où l’on flatte ses opinions, des beautés appétissantes. Ainsi, le riche réglant plus ou moins la production littéraire et artis-