Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/450

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sagera avec le même intérêt. Ainsi un régime qui réalisa l’idéal de l’éclectisme passera, dans l’histoire de l’esprit humain, pour une période assez inféconde.

Au contraire, une époque, pourvu qu’elle sorte du milieu vulgaire, peut donner naissance aux apparitions les plus originales et les plus contradictoires. La même révolution n’a-t-elle pas produit parallèlement d’une part la vraie formule des droits de l’homme et le symbole nouveau de liberté, d’égalité, de fraternité ; d’autre part des massacres et l’échafaud en permanence ? Un même siècle n’a-t-il pas porté à la fois dans son sein le Talmud et l’Évangile, le plus effrayant monument de la dépression intellectuelle et la plus haute création du sens moral, Jésus d’une part, de l’autre Hillel et Schammaï ? Il faut s’attendre à tout dans ces grandes crises de l’esprit humain, aux sublimités comme aux folies. Il n’y a que les pâles productions des époques de repos qui soient conséquentes avec elles-mêmes. L’apparition du Christ serait inexplicable dans un milieu logique et régulier ; elle s’explique dans cet étrange orage que subissait alors la raison en Judée. Ces moments solennels où la nature humaine exaltée, poussée à bout, rend les sons les plus extrêmes sont les moments des grandes révélations. Si les circonstances renaissaient, les phénomènes reparaîtraient, et nous verrions encore des Christs, non plus probablement représentés par des individus, mais par un esprit nouveau, qui surgira spontanément, sans peut-être se personnifier aussi exclusivement en tel ou tel.

Il ne faut pas se figurer la nature humaine comme quelque chose de si bien délimité qu’elle ne puisse atteindre au delà d’un horizon vulgaire. Il y a des trouées dans cet horizon, par lesquelles l’œil perce l’infini ; il y a