Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/458

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qui auraient dû plutôt éveiller les esprits et exciter la pensée ; elle est tout entière à la dépression générale amenée par la considération exclusive du repos ; honteux hédonisme dont nous recueillons les fruits, et dont les folies communistes ne sont après tout que la dernière conséquence. Il y a des jours où s’amuser est un crime ou tout au moins une impossibilité. La niaise littérature des coteries et des salons, la science des curieux et des amateurs est bien dépréciée par ces terribles spectacles ; le roman-feuilleton perd beaucoup de son intérêt au bas des colonnes d’un journal qui offre le récit du drame réel et passionné de chaque jour ; l’amateur doit bien craindre de voir ses collections emportées ou dérangées par le vent de l’orage. Pour prendre goût à ces paisibles jouissances, il faut n’avoir rien à faire ni rien à craindre ; pour rechercher d’aussi innocentes diversions, il faut avoir le temps de s’ennuyer. Mais rien de ce qui contribue à donner l’éveil à l’humanité n’est perdu pour le progrès véritable de l’esprit ; jamais la pensée philosophique n’est plus libre qu’aux grands jours de l’histoire. L’exercice intellectuel est plus pur alors, car il est moins entaché d’amusement, Il faut définitivement s’habituer à maintenir, au milieu de tous les bouleversements, le prix de la culture intellectuelle, de la science, de l’art, de la philosophie. Ce qui est bon est toujours bon, et si nous attendons le calme, nous attendrons longtemps peut-être. Si nos pères eussent ainsi raisonné, ils se fussent croisé les bras, et nous ne jouirions pas de leur héritage. Et qu’importe après tout que la journée de demain soit sûre ou incertaine ? Qu’importe que l’avenir nous appartienne ou ne nous appartienne pas ? Le ciel est-il moins bleu, Béatrix est-elle moins belle, et Dieu est-il moins grand ?