Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/464

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giens, nous n’aurions pas aussi beau jeu que vous, quand, pour amuser les badauds, vous faites plaisamment déraisonner les philosophes ? Il m’est tombé par hasard sous la main une brochure, contre l’éclectisme, où Descartes est présenté comme un imbécile qui, pour tout problème philosophique, s’est demandé « si la raison n’est pas une chose qui déraisonne, » Kant comme un sot qui ne sait pas s’il existe, ni si le monde existe, Fichte comme un impertinent qui prétend « que lui, Fichte, est à la fois Dieu, la nature et l’humanité, » tous les philosophes, enfin, comme des fous pires que les magiciens, les alchimistes et les astrologues. Je pense au rire délicat qu’aura excité dans quelque coterie de province la lecture de ces jolies choses. Voilà un homme qui ne peut manquer de faire fortune, mieux que nous autres lourdauds qui avons la sottise de prendre les choses au sérieux...

Il est temps que tous les partis qui ont à cœur la vérité renoncent à ce moyen si peu scientifique. Il y a, je le sais, un rire philosophique, qui ne saurait être banni sans porter atteinte à la nature humaine ; c’est le rire des Grecs, qui aimaient à pleurer et à rire sur le même sujet, à voir la comédie après la tragédie, et souvent la parodie de la pièce même à laquelle ils venaient d’assister. Mais la plaisanterie, en matière scientifique, est toujours fausse car elle est l’exclusion de la haute critique. Rien n’est ridicule parmi les œuvres de l’humanité pour donner ce tour aux choses sérieuses, il faut les prendre par un côté étroit et négliger ce qu’il y a en elles de majestueux et de vrai. Voltaire se moque de la Bible ; par ce qu’il n’a pas le sens des œuvres primitives de l’esprit humain. Il se serait moqué de même des Védas, et aurait dû se moquer d’Homère. La plaisanterie oblige à n’envisager les choses que