Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/473

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout embrasser à la fois et crée la science d’une façon analytique et successive. Le critique est celui qui prend toutes les affirmations, et aperçoit la raison de toute chose. Le critique, parcourt tous les systèmes, non comme le sceptique, pour les trouver faux, mais pour les trouver vrais à quelques égards. Et c’est pour cela que le critique est peu fait pour le prosélytisme. Car ce qui est partiel est plus fort ; les hommes ne se passionnent que pour ce qui est incomplet, ou, pour mieux dire, la passion, les attachant exclusivement à un objet, leur ferme les yeux sur tout le reste. C’est l’éternelle duperie de l’amour qui ne voit au monde que son objet. Amour exclusif est parallèle de haine et d’anathème. Le critique voit trop bien les nuances pour être énergique dans l’action. Lors même qu’il adopte un parti, il sait que ses adversaires n’ont pas tout à fait tort. Or, pour agir avec vigueur, il faut être un peu brutal, croire qu’on a absolument raison, et que ceux qu’on a en tête sont des aveugles ou des méchants. Si M. Cavaignac ou M. Changarnier eussent été aussi critiques que moi, ils ne nous eussent pas rendu le service de nous sauver en Juin car j’avoue que, depuis Février, la question ne s’est jamais posée assez nettement à mes yeux pour que j’eusse voulu me hasarder d’un côté ou de l’autre. Car, disais-je, peut-être mon frère est-il de ce côté ; peut-être serai-je tué par celui qui veut ce que je veux.

Le scepticisme s’échelonne ainsi aux divers degrés de l’intelligence humaine, alternant avec le dogmatisme selon le développement plus ou moins grand des facultés intellectuelles. Au plus humble degré, est le dogmatisme absolu des ignorants et des simples, qui affirment et croient par nature et n’ont pas aperçu les motifs de