Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/475

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brasse l’univers dans la vaste auirmation de l’amour : le sceptique n’a pour toute chose que l’étroite négation.

En faisant au scepticisme moral la plus large part, — en supposant que la vie et l’univers ne soient qu’une série de phénomènes de même ordre, et dont on ne puisse dire autre chose, sinon qu’il en est ainsi ; — en accordant que pensée, sentiment, passion, beauté, vertu, ne soient que des faits, excitant en nous des sentiments divers, comme les fleurs diverses d’un jardin ou les arbres d’une forêt (d’où il résulterait, comme Gœthe et Byron le pensaient, que tout est poétique) ; — en admettant que, parvenu à l’atome final, on puisse, librement et à son choix, rire ou adorer, en sorte que l’option dépende du caractère individuel de chacun, — même à ce point de vue, dis-je, où la morale n’a plus de sens, la science en aurait encore. Car ce qu’il y a de certain, c’est que ces phénomènes sont curieux ; c’est que ce monde de mouvements divers nous intéresse et nous sollicite. La morale est aussi absente du monde d’insectes qui s’agite dans une pièce d’eau, et pourtant quel ravissant intérêt à voir ces gyrins dorés, qui tournent au soleil, ces salamandres qui courent au fond, ces petits vers qui s’enfoncent dans la vase pour y chercher leur proie. C’est la vie, toujours la vie (182). Ceci explique comment la science formait une partie essentielle du système intellectuel de Gcethe. Chercher, discuter, regarder, spéculer, en un mot, aura toujours été la plus douce chose, quoi qu’il en soit de la réalité (183). Quelque Werther qu’on puisse être, il y a tant de plaisir à décrire tout cela que la vie en redevient colorée ! Goethe, j’en suis sûr, n’a jamais été tenté de se tirer un coup de pistolet. Il n’est pas impossible que l’humanité finisse, et qu’un jour nous n’ayons travaillé que pour la mer ou les