Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/493

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sein de la vanité et du plaisir, Caton aurait raison, il faudrait envisager comme des instruments de mollesse et briser sagement tout ce qui est a nos yeux instrument de culture et de perfectionnement, mais qui, dans cette hypothèse, ne servirait qu’à faire des générations avides de servitude pour vivre à l’aise. Rien n’égale, en province surtout, la nullité de la vie bourgeoise, et, je ne vois jamais sans tristesse et sans une sorte d’effroi l’affaiblissement physique et moral de la génération qui s’élève ; et pourtant ce sont les petits-fils des héros de la grande épopée ! Je m’entends mieux avec les simples, avec un paysan, un ouvrier, un vieux soldat. Nous parlons à quelques égards la même langue, je peux au besoin causer avec eux : cela m’est radicalement impossible avec un bourgeois vulgaire : nous ne sommes pas de la même espèce.

Hermann n’a vécu qu’avec lui-même, sa famille et quelques amis. Avec eux il est naïf, vrai, plein de verve ; il touche le ciel. En société, il est d’une insoutenable bêtise, et condamné au mutisme par le tour entier de la conversation qui ne lui permet pas d’y insérer un mot. S’il s’avise de l’essayer, le ton insolite de sa voix fait dresser toutes les têtes ; c’est une discordance. Il ne sait pas rendre de monnaie ; veut-il riposter, il tire de sa poche de l’or et pas de sous. A l’Académie ou au Portique, il eût bien tenu sa place ; il eût été des disciples favoris, il eût figuré dans un dialogue de Platon comme Lysis et Charmide. S’il eût vu Dorothée belle, courageuse et fière au bord de la fontaine, il eût osé lui dire : Laisse-moi boire. Si, comme Dante, il eût vu Béatrix sortant les yeux baissés de l’église de Florence, peut-être un rayon eût traversé sa vie, et peut-être la fille de Falco Portinari eût-elle souri de sa peine. Eh bien ! en face d’une