Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/516

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du monde doivent me considérer comme un impie, un méchant, un damné, le doivent, remarquez bien, par la nécessite même de leur foi. Fatale orthodoxie, toi qui autrefois faisais la paix du monde, tu n’es plus bonne que pour séparer. L’homme mûr ne peut plus croire ce que croit l’enfant ; l’homme ne peut plus croire ce que croit la femme et ce qu’il y a de terrible, c’est que la femme et l’enfant joignent leurs mains pour vous dire : Au nom du ciel, croyez comme nous, ou vous êtes damné. Ah ! pour ne pas les croire, il faut être bien savant ou bien mauvais cœur !

Un souvenir me remonte dans l’âme, il m’attriste, sans me faire rougir. Un jour, au pied de l’autel, et sous la main de l’évêque, j’ai dit au Dieu des chrétiens Dominus pars hæreditatem meæ et calicis mei ; tu es qui restitues hæreditatem meam mihi. J’étais bien jeune alors, et pourtant j’avais déjà beaucoup pensé. A chaque pas que je faisais vers l’autel, le doute me suivait ; c’était la science, et, enfant que j’étais, je l’appelais le démon. Assailli de pensées contraires, chancelant à vingt ans sur les bases de ma vie, une pensée lumineuse s’éleva dans mon âme et y rétablit pour un temps le calme et la douceur : Qui que tu sois, m’écriai-je dans mon cœur, ô Dieu des nobles âmes, je te prends pour la portion de mon sort. Jusqu’ici je t’ai appelé d’un nom d’homme ; j’ai cru sur parole celui qui dit : Je suis la vérité et la vie. Je lui serai fidèle en suivant la vérité partout où elle me mènera. Je serai le véritable nazaréen, tandis que, renonçant aux vanités et aux superfluités de la terre, je n’aurai d’amour que pour les belles choses, et ne proposerai à mon activité d’autre objet ici bas. Eh bien ! aujourd’hui je ne me repens pas de cette parole, et je redis volontiers : Dominus