Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/530

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vivement l’emploi d’une acception aussi vaste (Neue jenaische Literatur-Zeitung, Febr. 1845, n° 35-37). — L’école de Heyne et de Wolf entendait par philologie la connaissance approfondie du monde antique (grec et romain) sous toutes ses faces, en tant qu’elle est nécessaire à la parfaite intelligence de ces deux littératures.

(56) Ainsi l’entendait l’antiquité, La grammaire, c’était l’encyclopédie, non pour la science positive elle-même, mais comme moyen nécessaire pour l’intelligence des auteurs. Tout était rapporté à ce but littéraire. Le tableau le plus complet de tout ce que devait savoir le grammairien ancien, se trouve dans l’éloge que Stace fait de son père

(57) Mot de Cratès de Mallos : « Le grammairien, c’est le manœuvre ; le critique, c’est l’architecte. » Wegener, De aùla attalica, recueil des fragments de Cratès.

(58) Je parle seulement du moyen âge scolastique, du xie au xve siècle. Les rhéteurs de l’époque carlovingienne sont bien les successeurs des grammairiens romains, et ne sont que trop philologues dans le sens étroit et verbal. Roger Bacon, en qui se remarquent les premières étincelles de l’esprit moderne, et qui presque seul, en un espace de dix siècles, comprit la science comme nous la comprenons, avait déjà deviné la philologie. Il consacre la troisième partie de l’Opus Majus à l’utilité de l’étude des langues anciennes (grec, arabe, hébreu) et porte en ce sujet délicat la plus parfaite justesse de vues. L’étude des langues n’est plus pour lui un moyen pour exercer le métier d’interprète ou de traducteur, comme cela avait lieu presque toujours au moyen âge ; c’est un instrument de critique littéraire et scientifique.

(59) Il faut en dire autant de la connaissance que les Syriens, les Arabes et les autres Orientaux (les Arméniens peut-être exceptés) eurent de la littérature grecque. Elle fut des plus grossières, parce qu’elle ne fut pas philologique.

(60) J’ai placé, dit-il, le prince des poètes à côté de Platon, le prince des philosophes, et je suis obligé de me contenter de les regarder, puisque Sergius est absent et que Barlaam, mon ancien maître, m’a été enlevé par la mort. Tantôt je me console en jetant un regard sur ce chef-d’œuvre ; tantôt je l’embrasse, et je m’écrie en soupirant : Grand homme ! avec quel bonheur je t’entendrais, si la mort n’avait fermé l’une de mes oreilles (Barlaam) et si l’éloignement ne rendait l’autre impuissante (Sergius) ! (Epist. Var., xx, Opp. p..998, 999).

(61) Pour bien comprendre le caractère de la critique ancienne, voir l’excellent article de M. Egger sur Aristarque (Revue des Deux Mondes, 1er février 1846).