Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/543

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mot, et je ne sais quelle aile légère donnée à la phrase, feront jaillir sons vos yeux des beautés de premier ordre. » (Soirées de Saint-Pét., 7e entretien.) Avec ce système-là, et surtout avec le secours d’un ami qui ne soit pas helléniste, je me charge de trouver des beautés de premier ordre dans la plus mauvaise traduction d’Homère ou de Pindare, — indépendamment de celles qui y sont. Cela rappelle madame Dacier s’extasiant sur tel passage d’Homère, parce qu’il peut fournir cinq à six sens, tous également beaux.

(133) Je ne releverai qu’un trait entre plusieurs. Nous n’ôterons rien à la gloire de l’illustre auteur du Génie du christianisme en lui refusant le titre d’helléniste. Il admire (Génie du christ., liv. V, ch. i ou ii), la simplicité d’Homère ne décrivant la grotte de Calypso que par cette simple épithéte « tapissée de lilas ». Or voici le passage : ἐν σπέσσι γλαφυροῖσι, λιλαιομένη πόσιν εἶναι. (Odyssée, I, 15.) Je crois, Dieu me pardonne ! qu’il a vu des lilas dans λιλαιομένη.

(134) On ne peut se figurer, à moins d’avoir lu les œuvres exégétiques de ce grand homme, à quel point il manquait radicalement de critique. Il est exactement au niveau de saint Augustin, son maître. Pour n’en citer qu’un exemple, n’a-t-il pas fait un livre pour justifier la politique de Louis XIV par la Bible ? La mauvaise humeur avec laquelle Bossuet accueillit les travaux par lesquels Ellies Dupin, Richard Simon, le docteur Lannoy préludaient à la grande critique, et les persécutions qu’il suscita contre ces hommes intelligents sont, après la révocation de l’édit de Nantes, le plus triste épisode de l’histoire de l’Église gallicane, au xviie siècle.

(135) Les simples, dit M. Michelet, rapprochent et lient volontiers, divisent, analysent peu. Non seulement toute division coûte à leur esprit, mais elle leur fait peine, leur semble un démembrement. Ils n’aiment pas à scinder la vie, et tout leur paraît avoir vie. Non seulement ils ne divisent pas, mais, dès qu’ils trouvent une chose divisée, partielle, ou ils la négligent, ou ils la rejoignent en esprit au tout dont elle est séparée. C’est en cela qu’ils existent comme simples. Voir tout cet admirable passage (Du peuple, p. 242-243). Une conséquence de cette manière simple de prendre la vie, c’est d’apercevoir la physionomie des choses, ce qui ne font jamais les savants analystes, qui ne voient que l’élément inanimé. La plupart des catégories de la science ancienne exclues par les modernes correspondaient à des caractères extérieurs de la nature, qu’on ne considère plus, et avaient bien leur part de vérité.

(136) La poésie elle-même présente une marche analogue. Dans la poésie primitive, tous les genres étaient confondus ; l’élément lyrique,