Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/60

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tablement fait, puisqu’il n’est personne qui ne reconnaisse la société actuelle mieux organisée à certains égards que celle du passé. C’est l’œuvre des religions, direz-vous. Je vous l’accorde ; mais que sont les religions, sinon les plus belles créations de la nature humaine ? L’appel à la nature humaine est la raison dernière dans toutes les questions philosophiques et sociales. Mais il faut se garder de prendre cette nature, d’une façon étroite et mesquine, pour les usages, les coutumes, l’ordre que l’on a sous les yeux. Cette mer est autrement profonde ; on n’en touche pas si vite le fond, et il n’est jamais donné aux faibles yeux de l’apercevoir. Que d’erreurs dans la psychologie vulgaire par suite de l’oubli de ce principe ! Ces erreurs viennent presque toutes des idées étroites qu’on se fait sur les révolutions qu’a déjà subies le système moral et social de l’humanité, et de ce qu’on ignore les différences profondes qui séparent les littératures et la façon de sentir des peuples divers.

Sans embrasser aucun système de réforme sociale, un esprit élevé et pénétrant ne peut se refuser à reconnaître que la question même de cette réforme n’est pas d’une autre nature que celle de la réforme politique, dont la légitimité est, j’espère, incontestée. L’établissement social, comme l’établissement politique, s’est formé sous l’empire de l’instinct aveugle. C’est à la raison qu’il appartient de le corriger. Il n’est pas plus attentatoire de dire qu’on peut améliorer la société, qu’il ne l’est de dire qu’on peut souhaiter un meilleur gouvernement que celui du schah de Perse. La première fois qu’on s’est pris à ce terrible problème : réformer par la raison la société politique, on dut crier à l’attentat inouï. Les conservateurs de 1789 purent opposer aux révolutionnaires