Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/88

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où l’on s’en tiendrait aux assertions du passé, en les acceptant comme vérité absolue et irréformable, ce jour serait le dernier de la philosophie. L’orthodoxe n’est jamais plus agaçant que quand se targuant de son immobilité, il reproche au penseur ses fluctuations, et à la philosophie ses perpétuelles modifications (31). Ce sont ces modifications qui prouvent justement que la philosophie est le vrai ; par là elle est en harmonie avec la nature humaine toujours en travail et heureusement condamnée à faire toutes ses conquêtes à la sueur de son front. Cela seul ne varie pas qui n’est pas progressif. Rien de plus immuable que la nullité, qui n’a jamais vécu de la vie de l’intelligence, ou l’esprit lourd, qui n’a jamais vu qu’une face des choses. Le moyen de ne pas varier, c’est de ne pas penser. Si l’orthodoxie est immuable, c’est qu’elle se pose en dehors de la nature humaine et de la raison.

Et ne dites pas que c’est là le scepticisme ; c’est la critique, c’est-à-dire la discussion ultérieure et transcendante de ce qui avait d’abord été admis sans un examen suffisant, pour en tirer une vérité plus pure et plus avancée. Il est temps que l’on s’accoutume à appeler sceptiques tous ceux qui ne croient point encore à la religion de l’esprit moderne, et qui, s’attardant autour de systèmes usés, nient avec une haine aveugle les dogmes acquis du siècle vivant. Nous acceptons l’héritage des trois grands mouvements modernes, le protestantisme, la philosophie, la révolution, sans avoir la moindre envie de nous convertir aux symboles du xvie siècle, ou de nous faire voltairiens, ou de recommencer 1793 et 1848. Nous n’avons nul besoin de recommencer ce que nos pères ont fait. Libéralisme résume leur œuvre ; nous saurons la continuer.