Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jusqu’au jour où elle n’aurait plus personne à vaincre, et où, seule maîtresse, elle régnerait de plein droit. Qu’importe par qui s’opère le travail de la civilisation et le bien de l’humanité ? Aux yeux de Dieu et de l’avenir, Russes et Français ne sont que des hommes. Nous n’en appelons au principe des nationalités que quand la nation opprimée est supérieure selon l’esprit à celle qui l’opprime. Les partisans absolus de la nationalité ne peuvent être que des esprits étroits. La perfection humanitaire est le but. À ce point de vue, la civilisation triomphe toujours ; or, il serait par trop étrange qu’un poids invincible entraînât en ce sens l’espèce humaine, si ce n’était qu’une dégénération.

Il n’y a pas de décadence au point de vue de l’humanité. Décadence est un mot qu’il faut définitivement bannir de la philosophie de l’histoire. Où commence la décadence de Rome ? Les esprits étroits, préoccupés de la conservation des mœurs anciennes, diront que c’est après les guerres puniques, c’est-à-dire précisément au moment où, les préliminaires étant posés, Rome commence sa mission et dépouille les mœurs de son enfance devenues impossibles. Ceux qui sont préoccupés de l’idée de la république placeront la ligne fatale à la bataille d’Actium ; pauvres gens qui se seraient suicidés avec Brutus, ils croient voir la mort dans la crise de l’âge mûr. Cette décadence peut elle être mieux placée au ive siècle, alors que l’œuvre de l’assimilation romaine est dans toute sa force, ou au ve, alors que Rome impose sa civilisation aux barbares qui l’envahissent ? Et la Grèce ?… Des temps homériques à Héraclius, où est sa décadence ? Est-ce à l’époque de Philippe, alors qu’elle est à la veille de faire par Alexandre sa brillante apparition dans l’œuvre humanitaire ? Est-ce