Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/185

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avec une joie presque égale à la sienne. Vous savoir heureux tous deux, n’est-ce pas la plus vraie satisfaction que je puisse éprouver ?

Je me demande en vain, mon Ernest, quel passage de mes lettres a pu donner à maman l’idée du beau rêve dont tu me parles et dont elle m’avait aussi écrit quelque chose ; on ne saurait créer un plus doux projet, mais malheureusement il n’en est pas de moins fondé. Tu penses bien, mon pauvre ami, que je n’ai jamais pu parler de dates à maman, quand rien ne permet à mon cœur la moindre espérance raisonnable. Courage, attente et résignation sont sur ce point ce qui nous reste à répéter. Loin de marcher vers notre patrie, je vais de nouveau prendre un chemin opposé. Nous quittons demain Varsovie pour retourner à ce château désert où j’ai déjà passé deux étés, et quoique cette résidence ne soit guère qu’à soixante lieues d’ici, je me sens le cœur tout oppressé en tournant encore le dos à cet Occident où j’ai laissé toutes mes affections ; mes lettres aussi m’arrivent là-bas avec un plus long retard, ce qui est pour moi la plus grande punition. Excepté ces deux causes,