Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/190

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ma vie isolée, l’étude est une immense consolation, la seule peut-être qui me reste dans un pays où les mœurs, les goûts, l’état social, tout enfin est si différent de ce qui m’entourait dans notre patrie. Je pense souvent qu’ici je voudrais ne vivre que dans ma chambre ou dans la salle de travail de mes élèves. Malheureusement, cela ne m’est pas toujours possible, quoique j’aie pris mon parti sur le brevet d’originalité que mes goûts de solitude m’ont fait obtenir. Il serait au-dessus de mes forces de gaspiller mon temps comme je le vois faire autour de moi, ou de passer de longues heures dans des conversations vides et futiles.

Je m’aperçois souvent que mes lettres mêmes se ressentent de cette disposition d’esprit ; je ne te dis presque rien de ce qui me frappe au dehors, d’abord parce qu’il me faut être fort circonspecte sur ce point, ensuite parce que je ne puis croire qu’il y ait pour toi quelque intérêt dans la description des Cosaques de toute forme, des Orientaux de toutes couleurs qui frappent à chaque instant mes regards. Lorsque, pendant l’hiver, je