Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/23

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encore les petites tyrannies que j’exerçais sur elle, et contre lesquelles elle ne se révolta jamais. Quand elle sortait parée pour aller aux réunions de jeunes demoiselles de son âge, je m’attachais à sa robe, je la suppliais de revenir ; alors elle rentrait, tirait ses habits de fête et restait avec moi. Un jour, par plaisanterie, elle me menaça, si je n’étais point sage, de mourir ; et elle fit la morte, en effet, sur un fauteuil. L’horreur que me causa l’immobilité feinte de mon amie est peut-être l’impression la plus forte que j’aie éprouvée, le sort n’ayant pas voulu que j’aie assisté à son dernier soupir. Hors de moi, je m’élançai et lui fis au bras une terrible morsure. Elle poussa un cri que j’entends encore. Aux reproches que l’on m’adressait, je ne savais répondre qu’une seule chose : « Pourquoi donc étais-tu morte ? Est-ce que tu mourras encore ? »

En juillet 1828, les malheurs de notre père aboutirent à une affreuse catastrophe. Un jour, son navire venant de Saint-Malo rentra au port de Tréguier sans lui. Les hommes de l’équipage, interrogés, déclarèrent que depuis plusieurs jours ils ne l’avaient plus revu. Un