Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/77

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rappelle que le lendemain matin elle eut encore la force de me dire : « Toute ta nuit n’a été qu’un gémissement. »

Les journées du vendredi, du samedi et du dimanche flottent pour moi comme les branches éparses d’un rêve pénible. L’accès qui faillit m’enlever le lundi suivant eut une sorte d’effet rétroactif, et effaça presque totalement la mémoire des trois jours qui précédèrent. Un sort funeste voulut que le médecin nous vît à des moments de rémission, et ne pût pas prévoir la crise qui se préparait. Je travaillais encore, mais j’avais conscience que je travaillais mal. J’en étais dans le récit de la Passion à l’épisode de la Cène. En relisant plus tard ces lignes, j’y trouvai un trouble étrange. Ma pensée roulait dans une sorte de cercle sans issue, et battait comme le bras d’une machine détraquée. Diverses autres particularités me sont restées en mémoire. J’écrivis aux sœurs de la charité de Beyrouth pour leur demander du vin de quinquina, qu’elles seules savaient faire en Syrie ; mais je sentais moi-même l’incohérence de ma lettre. Il ne semble pas que nous eussions ni l’un ni l’autre un senti-