Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/81

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réveilla rien en moi. Je vivais cependant encore, car Antoun, notre domestique, m’a dit que je fis transporter ma sœur dans le salon qui me servait de chambre, que je l’aidai a la porter et que je restai longtemps près d’elle. Peut-être à ce moment nous dîmes-nous adieu, et m’adressa-t-elle des paroles sacrées, que le terrible coup d’éponge qui allait passer sur mon cerveau aura effacées. Antoun m’assura qu’elle n’eut à aucun moment conscience de la mort ; mais il était si peu intelligent et savait si peu le français qu’il aura pu ne pas voir ce que nous nous serons dit l’un à l’autre.

Le médecin arriva vers six heures, accompagné du commandant. Tous les deux pensèrent qu’il ne fallait pas songer à transporter ma sœur le lendemain à Beyrouth. Par une coïncidence étrange, l’accès me prit pendant qu’ils étaient avec nous ; je perdis connaissance entre les bras du commandant. Ces deux personnes, pleines de droiture et de jugement, mais jusque-là trompées sur la gravité de notre état, tinrent conseil. Le médecin, se reconnaissant loyalement incapable de soigner un mal dont la marche lui échappait, demanda