Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/311

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faible civilisation. Le Maroc ne cessait de verser au delà du détroit son trop-plein de barbarie. L’indifférence religieuse avait jeté dans l’Andalousie les plus profondes racines : tiraillée entre le fanatisme et l’incrédulité, la société arabe espagnole devait périr, comme toute société qui porte les extrêmes dans son sein. La race arabe, conservant dans la misère son savoir-vivre et ses manières aristocratiques, ne retrouva une étincelle de son génie que pour exhaler ses poétiques plaintes. Le cœur se fend en voyant cette noble race insultée par des barbares et d’insolents parvenus. En même temps tout s’attriste et s’obscurcit : « Sous le règne de l’aristocratie, dit M. Dozy, la poésie andalouse avait été vigoureuse, pleine de sève, toute mondaine ; on jouissait de tous les biens de la vie, et on en jouissait sans arrière-pensée ; les poëtes chantaient le vin et les plaisirs, sans souci de l’orthodoxie. C’était une poésie qui ne voulait que l’action ; fier de son talent et de son importance, le poëte critiquait impitoyablement les fautes des princes ; tout ce qui aux yeux des Arabes porte un caractère de noblesse et de beauté excitait son enthousiasme. Sous le règne d’Ali l’Almoravide au contraire, de ce monarque insignifiant et dévot, les femmes et les prêtres remplacèrent les patriciens, et la poésie réfléchit fidèlement l’image de l’époque. De vigoureuse, d’insouciante, de légère, de frivole même qu’elle était, elle est devenue peureuse, sévère, mélancolique, religieuse. Les temps étaient si mauvais, qu’on détournait les yeux de la terre pour les élever vers le ciel : on souffrait, on se résignait, quand les hommes du siècle précédent auraient lutté contre la fortune. Les belles formes ont disparu ; quand les poëtes veulent imiter les grands