Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/212

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Que cette longue conversation avec toi, excellente amie, m’a ranimé et consolé ! Tu es peut-être, avec un seul ami, mon fidèle et pénétrant Berthelot, la seule personne à qui je dise ma pensée. Avec tous les autres, je suis de leur opinion. Plus que jamais, j’aspire après ton retour, je l’appelle, je le rêve, je l’espère. Continue de m’aimer, excellente amie, et compte sur ma tendre et inaltérable affection.

E. RENAN.


POUR MON FRÈRE.


1er juillet 1848.

O mon Ernest, à quelle existence suis-je donc désormais condamnée !… Toujours trembler pour toi, ne plus connaître une ombre de sécurité ! La nouvelle des événements effroyables du 23, 24 et 25 juin arrive jusqu’à moi, essaierai-je de te dire dans quel état elle me laisse ?… Existes-tu, mon pauvre ami, et faudra-t-il que je sois encore plusieurs jours dans cet état d’atroces angoisses ? On s’est horriblement battu dans le quartier que tu habites ; qu’es-tu devenu au milieu de ces boucheries ?… Infortuné Paris !… Pauvre France !… Tout est donc fini pour elle ; — nous avons vu ses derniers jours de grandeur ; — le reste ne sera désormais que les convulsions de l’agonie, — de l’agonie du suicide. — Ah ! quel état social, grand Dieu ! Mort et pillage ! voilà désormais le