Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/393

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une idée que la plus haute philosophie a su à peine atteindre dans les temps modernes. Mais quele peuple plante une croix au milieu du Colisée, pour ensuite la baiser, que le peuple colle une mauvaise Madone dans le temple de Vesta, allume deux ou trois cierges à l'entour, et place un mendiant à la porte, ah ! voilà l'humanité vraie, voila le sentiment religieux, se traduisant par des formes très étranges, très éloignées de nos habitudes, mais belles et originales. Jamais je n’ai mieux perçu dans sa grande universalité cette loi éternelle de la nature humaine, dont la philosophie moderne a trop peu tenu de compte : L'humanité est religieuse.

Je vis donc ici, chère amie, dans une extrême quiétude, peu soucieux, ne pensant pas à l’avenir, me laissant aller doucement au train des choses. Je vois Rome en amateur, me défendant un sentiment trop vif de curiosité, lequel gâte la pureté et la simplicité des impressions, ne cherchant pas d’une façon inquiète à tout voir, mais prenant ce qui se trouve sur mon chemin, revenant vingt fois à ce qui me dit quelque chose. Le Forum, le Colisée, les environs du mont Palatin, le Vélabre, sont mes promenades favorites ; j’y vais régulièrement tous les jours : ce quartier me plaît et m’enchante. L’Ara Cœli, bâtie avec les marbres du temple de Jupiter Capitolin (lesquels avaient été pris par les Romains au temple de Jupiter Olympien) est ma première visite de chaque matin. Je ne sais si tu te rappelles cette terrasse, à côté du