Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/412

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dans l’art, dans ce qui est humain en un mot, pour celui-là, Naples aura presque autant de tristesses que de jouissances. Personne n’est plus disposé que moi à la tolérance envers le caractère et les institutions étrangers aux nôtres : Rome ressemble certainement moins que Naples à la France, l’extérieur de la vie en ce pays diffère peu de la nôtre, eh bien ! à Rome, je pardonnais tout ; à Naples, je ne le puis. Non, je ne le puis ; c’est par trop fort. L’extinction absolue de tout sentiment moral, voilà le dégoûtant spectacle que présente ce peuple infâme ; ce ne sont pas des hommes, ma chère amie ; ce sont des brutes, chez lesquelles vous cherchez en vain quelque trace de ce qui constitue la noblesse humaine. Non, cela n’est pas tolérable ; non, on n’est pas maître de détourner complètement les yeux de cette dégradation pour ne voir que la mer, le Vésuve, Ischia, Caprée. Car qu’est-ce que la nature sans l’homme ? Qu’est-ce que la nature sans les sentiments moraux dont elle est le symbole et le miroir ? Le sol de Rome me serait-il si cher, s’il ne recélait ces nobles ruines ? Le coucher du soleil serait-il si beau du Monte-Pincio, s’il n’éclairait de ses derniers rayons le Janicule, Saint-Pierre, le Vatican ? Comprends-moi, chère amie, et ne pense pas que j’applique à ces choses une critique étroite et mesquine. J’ai une grande facilité à faire abstraction des réalités qui m’environnent, je cherche le type d’un peuple, non pas dans quelques individus dégradés, mais dans les œuvres qui l’expriment,