Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/489

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un pape, un cardinal ou par le traité de Tolentino. Heureux quand la trace ne s’en est pas perdue, comme cela est arrivé pour l’admirable Sposalizio du Pérugin ! Jamais je n’ai maudit plus cordialement le vandalisme de ces barbares qui croient suppléer à leur impuissance plastique en chargeant sur leurs fourgons les chefs-d’œuvre des vaincus, Combien il serait plus doux d’admirer à leur place, après un long voyage entrepris exprès pour eux, les chefs-d’oeuvre de Raphaël ou de son maître, que de les trouver appliqués à la file contre un mur, à côté d’autres œuvres que le hasard seul leur a données pour compagnes, dans des salles presque toujours mal éclairées, au Louvre ou au Vatican ! Le musée est la dernière ressource à laquelle il faut recourir ; il indique déjà la décadence de l’art, l’époque où l’art cesse d’avoir un but réel et extérieur, où l’on fait un tableau pour faire un tableau, comme les rhéteurs font des discours pour le plaisir d’en faire.

De Foligno à Ancône, j’ai pris un nouveau vetturino. Le Col Fiorito est admirable : l’Apennin est superbe en cet endroit. Les Marches sont la Béotie de l’Italie : le contraste est frappant en Sortant de l’Ombrie. La peinture des rues, si caractéristique de toutes les villes ombriennes, disparaît, les villes n’ont plus de physionomie, les légendes deviennent pesantes et n’inspirent plus l’art. A Saint-Nicolas de Tolentino, on croirait être dans une église de Naples. Lorette m’a souverainement déplu. Cette lourde et béotienne