Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/98

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l’avoir désigné, lui M. Quatremère, comme seul capable de lui succéder. Que de petitesses et de coteries, chère amie, là où on croirait qu’il y en a le moins ! Quoi qu’il en soit, j’hésite beaucoup à présenter mon manuscrit à M. Quatremère, non pas sans doute à cause des épouvantails de M. Reinaud, mais bien plutôt parce que je suis persuadé qu’il abordera très mal disposé un ouvrage que d’autres ont approuvé tandis qu’il semblait de son ressort, qu’il ne songera qu’à le critiquer, et qu’à ce point de vue il prendra fort mal les vues philosophiques, qui sont tout à fait en dehors de sa manière, et auxquelles il est toujours possible de se refuser, quand on y est décidé d’avance. Quant à M. Burnouf, chère amie, la manière pleine de distinction et de bon goût, dont il agit avec moi me ravit. Il fait actuellement son séjour à la campagne, mais il m’a donné rendez-vous pour les vendredis à l’Institut, et là nous avons ensemble de précieux entretiens de philologie, de littérature, etc. C’est vraiment un esprit de premier ordre, chère amie, et pour l’érudition et pour la portée philosophique. Il y joint cette bienveillance, cette suavité de mœurs qui complète l’idéal. Avec cela, il est jeune encore, plein de vie et d’ardeur, de foi en la science et d’amour désintéressé pour elle. Enfin, chère amie, j’ai trouvé en lui l’homme que je cherchais, le vrai philosophe savant, qui me représente ce que je voudrais être, ce que joyeux m’efforcer d’être, selon la mesure de mes forces.