Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/333

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des choses, je croyais me conformer aux règles de la grande école du XVIIe siècle, surtout de Malebranche, dont le premier principe est que la raison doit être contemplée, et qu’on n’est pour rien dans sa procréation ; en sorte que le devoir de l’homme est de se mettre devant la vérité, dénué de toute personnalité, prêt à se laisser traîner où voudra la démonstration prépondérante. Loin de viser d’avance certains résultats, ces illustres penseurs voulaient que, dans la recherche de la vérité, on s’interdît d’avoir un désir, une tendance, un attachement personnel. Quel est le grand reproche que les prédicateurs du XVIIe siècle adressent aux libertins ? C’est d’avoir embrassé ce qu’ils désiraient, c’est d’être arrivés aux opinions irréligieuses parce qu’ils avaient envie qu’elles fussent vraies.

Dans cette grande lutte engagée entre ma raison et mes croyances, j’évitai soigneusement de faire un seul raisonnement de philosophie abstraite. La méthode des sciences physiques et naturelles, qui, à Issy, m’était apparue comme la loi du vrai, faisait que je