Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/374

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de 1846, l’ancre inébranlable sur laquelle nous n’avons jamais chassé. Nous n’y renoncerons que quand il nous sera donné de constater dans la nature un fait spécialement intentionnel, ayant sa cause en dehors de la volonté libre de l’homme ou de l’action spontanée des animaux.

Notre amitié fut ainsi quelque chose d’analogue à celle des deux yeux quand ils fixent un même objet et que, de deux images, résulte au cerveau une seule et même perception. Notre croissance intellectuelle était comme ces phénomènes qui se produisent par une sorte d’action de voisinage et de tacite complicité. M. Berthelot aimait autant que moi ce que je faisais ; j’aimais son œuvre presque autant qu’il l’aimait lui-même. Jamais il n’y eut entre nous, je ne dirai pas une détente morale, mais une simple vulgarité. Nous avons toujours été l’un avec l’autre comme on est avec une femme qu’on respecte. Quand je cherche à me représenter l’unique paire d’amis que nous avons été, je me figure deux prêtres en surplis se donnant le bras. Ce cos-