Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/78

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rence suffit et qu’on endort par des fictions. La pauvre Kermelle arriva ainsi à réaliser ses songes, à faire ce qu’elle rêvait. Ce qu’elle rêvait, c’était la vie en commun avec celui qu’elle aimait, et la vie qu’elle partageait en esprit, ce n’était pas naturellement la vie du prêtre, c’était la vie du ménage. La pauvre fille était faite pour l’union conjugale. Sa folie était une sorte de folie ménagère, un instinct de ménage contrarié. Elle imaginait son paradis réalisé, se voyait tenant la maison de celui qu’elle aimait, et, comme déjà elle ne séparait plus bien ses rêves de ce qui était vrai, elle fut amenée à une incroyable aberration. Que veux-tu ! ces pauvres folles prouvent par leurs égarements les saintes lois de la nature et leur inévitable fatalité.

» Ses journées se passaient à ourler du linge, à le marquer. Or, dans sa pensée, ce linge était destiné à la maison qu’elle imaginait, à ce nid en commun où elle eût passé sa vie aux pieds de celui qu’elle adorait. L’hallucination allait si loin, que, ces draps, ces serviettes, elle les marquait aux initiales du vicaire ; souvent