Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/19

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comme il n’y en a pas d’autres, des livres plus historiques que les meilleures histoires, puisqu’ils ne renferment aucune erreur. Pour le rationaliste, au contraire, les Évangiles sont des textes auxquels il s’agit d’appliquer les règles communes de la critique ; nous sommes, à leur égard, comme sont les arabisants en présence du Coran et des hadith, comme sont les indianistes en présence des védas et des livres bouddhiques. Est-ce que les arabisants regardent le Coran comme infaillible ? Est-ce qu’on les accuse de falsifier l’histoire quand ils racontent les origines de l’islamisme autrement que les théologiens musulmans ? Est-ce que les indianistes prennent le Lalitavistara[1] pour une biographie ?

Comment s’éclairer réciproquement en partant de principes opposés ? Toutes les règles de la critique supposent que le document soumis à l’examen n’a qu’une valeur relative, que ce document peut se tromper, qu’il peut être réformé par un document meilleur. Persuadé que tous les livres que le passé nous a légués sont l’œuvre des hommes, le savant profane n’hésite pas à donner tort aux textes, quand les textes se contredisent, quand ils énoncent des choses absurdes ou formellement réfutées par des témoignages plus autorisés. L’orthodoxe, au contraire, sûr d’avance qu’il n’y a pas une erreur ni une contradiction dans ses livres sacrés, se prête aux moyens les plus violents, aux expédients les plus désespérés pour sortir des difficultés. L’exégèse orthodoxe est de la sorte un tissu de subtilités ; une subtilité peut être vraie isolément ; mais mille subtilités ne peuvent être vraies à la fois. S’il y avait dans Tacite ou dans Polybe des erreurs aussi caractérisées que celles que Luc commet à propos de Quirinius et de Theudas, on dirait que Tacite

  1. Vie légendaire de Bouddha.