Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/220

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espèce de désespoir à réfléchir sur sa vocation mystérieuse, l’imagination du peuple s’était reportée avec beaucoup de complaisance vers les anciens prophètes. Or, de tous les personnages du passé, dont le souvenir venait comme les songes d’une nuit troublée réveiller et agiter le peuple, le plus grand était Élie. Ce géant des prophètes, en son âpre solitude du Carmel, partageant la vie des bêtes sauvages, demeurant dans le creux des rochers, d’où il sortait comme un foudre pour faire et défaire les rois, était devenu, par des transformations successives, une sorte d’être surhumain, tantôt visible, tantôt invisible, et qui n’avait pas goûté la mort. On croyait généralement qu’Élie allait revenir et restaurer Israël[1]. La vie austère qu’il avait menée, les souvenirs terribles qu’il avait laissés, et sous l’impression desquels l’Orient vit encore[2], cette sombre image qui, jusqu’à nos jours, fait trembler et tue, toute cette mythologie, pleine de vengeance et de terreurs, frappaient vivement les

  1. Malachie, iii, 23-24 (iv, 5-6 selon la Vulg.) ; Ecclésiastique, xlviii, 10 ; Matth., xvi, 14 ; xvii, 10 et suiv. ; Marc, vi, 15 ; viii, 28 ; ix, 10 et suiv. ; Luc, ix, 8, 19 ; Jean, i, 21, 25.
  2. Le féroce Abdallah, pacha de Saint-Jean-d’Acre, pensa mourir de frayeur pour l’avoir vu en rêve, dressé debout sur sa montagne. Dans les tableaux des églises chrétiennes, on le voit entouré de têtes coupées ; les musulmans ont peur de lui.