Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/245

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hommes eux-mêmes qu’il voulait agir. Un visionnaire qui n’aurait eu d’autre idée que la proximité du jugement dernier n’eût pas eu ce soin pour l’amélioration des âmes, et n’eût pas créé le plus bel enseignement pratique que l’humanité ait reçu. Beaucoup de vague restait sans doute dans sa pensée, et un noble sentiment, bien plus qu’un dessein arrêté, le poussait à l’œuvre sublime qui s’est réalisée par lui, bien que d’une manière fort différente de celle qu’il imaginait.

C’est bien le royaume de Dieu, en effet, je veux dire le royaume de l’esprit, qu’il fondait, et si Jésus, du sein de son Père, voit son œuvre fructifier dans l’histoire, il peut bien dire avec vérité : « Voilà ce que j’ai voulu. » Ce que Jésus a fondé, ce qui restera éternellement de lui, abstraction faite des imperfections qui se mêlent à toute chose réalisée par l’humanité, c’est la doctrine de la liberté des âmes. Déjà la Grèce avait eu sur ce sujet de belles pensées[1]. Plusieurs stoïciens avaient trouvé moyen d’être libres sous un tyran. Mais, en général, le monde ancien s’était figuré la liberté comme attachée à certaines formes politiques ; les libéraux s’étaient appelés Harmodius et Aristogiton, Brutus et Cassius. Le chrétien véri-

  1. V. Stobée, Florilegium, ch. lxii, lxxvii, lxxxvi et suiv.