Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/247

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en constituant une immense association libre, qui, durant trois cents ans, sut se passer de politique, le christianisme compensa amplement le tort qu’il a fait aux vertus civiles. Grâce à lui, le pouvoir de l’État a été borné aux choses de la terre ; l’esprit a été affranchi, ou du moins le faisceau terrible de l’omnipotence romaine a été brisé pour jamais.

L’homme surtout préoccupé des devoirs de la vie publique ne pardonne pas aux autres hommes de mettre quelque chose au-dessus de ses querelles de parti. Il blâme ceux qui subordonnent aux questions sociales les questions politiques et professent pour celles-ci une sorte d’indifférence. Il a raison en un sens, car toute direction qui s’exerce à l’exclusion des autres est préjudiciable au bon gouvernement des choses humaines. Mais quel progrès les partis ont-ils fait faire à la moralité générale de notre espèce ? Si Jésus, au lieu de fonder son royaume céleste, était parti pour Rome, s’était usé à conspirer contre Tibère, ou à regretter Germanicus, que serait devenu le monde ? Républicain austère, patriote zélé, il n’eût pas arrêté le grand courant des affaires de son siècle, tandis qu’en déclarant la politique insignifiante, il a révélé au monde cette vérité que la patrie n’est pas tout, et que l’homme est antérieur et supérieur au citoyen.