Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/481

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Ils espéraient une réponse qui donnât un prétexte pour le livrer à Pilate. Celle de Jésus fut admirable. Il se fit montrer l’effigie de la monnaie : « Rendez, dit-il, à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu[1]. » Mot profond qui a décidé de l’avenir du christianisme ! mot d’un spiritualisme accompli et d’une justesse merveilleuse, qui a fondé la séparation du spirituel et du temporel, et a posé la base du vrai libéralisme et de la vraie civilisation !

  1. Matth., xxii, 15 et suiv. ; Marc, xii, 13 et suiv. ; Luc, xx, 20 et suiv. Comp. Talm. de Jérus., Sanhédrin, ii, 3 ; Rom., xiii, 6-7. On peut douter que cette anecdote soit vraie à la lettre. Les monnaies d’Hérode, celles d’Archélaüs, celles d’Antipas avant l’avènement de Caligula, ne portent ni le nom ni la tête de l’empereur. Les monnaies frappées à Jérusalem sous les procurateurs portent le nom, mais non l’image de l’empereur (Eckhel, Doctr., III, 497-498). Les monnaies de Philippe portent le nom et la tête de l’empereur (Lévy, Gesch. der jüdischen Münzen, p. 67 et suiv. ; Madden, History of jewish coinage, p. 80 et suiv.). Mais ces monnaies, frappées à Panéas, sont toutes païennes ; d’ailleurs, elles n’étaient pas la monnaie propre de Jérusalem ; fait sur de telles pièces, le raisonnement de Jésus eût manqué de base. Supposer que Jésus fit sa réponse sur des pièces à l’effigie de Tibère frappées hors de la Palestine (Revue numismatique, 1860, p. 159), est bien peu probable. Il semble donc que ce bel aphorisme chrétien a été antidaté. L’idée que l’effigie des monnaies est le signe de la souveraineté se retrouve, du reste, dans le soin qu’on eut, au moins lors de la seconde révolte, de refrapper la monnaie romaine et d’y mettre des images juives (Lévy, p. 104 et suiv. ; Madden, p. 176, 203 et suiv.).