Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/576

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la torture et le bûcher. Mais le jour viendra où la séparation portera ses fruits, où le domaine des choses de l’esprit cessera de s’appeler un « pouvoir » pour s’appeler une « liberté ». Sorti de l’affirmation hardie d’un homme du peuple, éclos devant le peuple, aimé et admiré d’abord du peuple, le christianisme fut empreint d’un caractère originel qui ne s’effacera jamais. Il fut le premier triomphe de la révolution, la victoire du sentiment populaire, l’avénement des simples de cœur, l’inauguration du beau comme le peuple l’entend. Jésus ouvrit ainsi dans les sociétés aristocratiques de l’antiquité la brèche par laquelle tout passera.

Le pouvoir civil, en effet, bien qu’innocent de la mort de Jésus (il ne fit que contre-signer la sentence, et encore malgré lui), devait en porter lourdement la responsabilité. En présidant à la scène du Calvaire, l’État se porta le coup le plus grave. Une légende pleine d’irrévérences de toute sorte prévalut et fit le tour du monde, légende où les autorités constituées jouent un rôle odieux, où c’est l’accusé qui a raison, où les juges et les gens de police se liguent contre la vérité. Séditieuse au plus haut degré, l’histoire de la Passion, répandue par des millions d’images populaires, montre les aigles romaines sanctionnant le plus inique des supplices, des soldats l’exécutant, un