Page:Renard - Bucoliques, 1905.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
117
BUCOLIQUES

— Il faut déloger l’ennemi, dit Gagnard lancé. De cette poutre, notre général, celui qui a des bottes et une culotte blanche, nous le montre du doigt. Sous le feu nourri des Autrichiens qui cause dans nos rangs de cruels ravages, un tambour joue des airs patriotiques sur son instrument national. Ici, le drapeau flotte. Là, un chien se sauve. Ici, les chevaux, les affûts, les caissons s’écrasent pêle-mêle. Là, ma compagnie s’avance en bon ordre pour décider la victoire ; mon capitaine, mortellement frappé par un éclat d’obus, tombe, le sabre haut, à la renverse, et ici, là, où je pose mon pouce, derrière les baïonnettes, au bord d’un nuage de fumée, regarde ce petit point noir, le vois-tu ?

— Et quand je le verrais ? dit Pierre.

— Alors, mon vieux, dit Gagnard, si tu le vois, tu me vois ; ce petit point noir, c’est moi.

— Ah ! c’est toi ? dit Pierre, bon ! je veux bien. Admettons. Et ce petit point noir d’à côté, qui est-ce ?